Petit traité du jardin punk – apprendre à désapprendre
Éric LENOIR, Terre Vivante, 2018
Les guides de jardinage, vous connaissez ? Les rayons en débordent.
Satisfaisants à l’oeil, mise en page pimpante, belle couverture, illustrations soignées, rédaction par des journalistes spécialisés.
Déception. On survole, on a le sentiment d’avoir déjà lu ça ailleurs, formules usées, recettes clonées, thèmes à la mode, textes sans opinions, expériences personnelles absentes.
Ce traité, c’est au contraire un auteur impliqué et appliqué, un paysagiste formé et réformé, qui parle de son histoire personnelle, s’exprime avec conviction et n’hésite pas à aborder les difficultés du jardinage -art de faire semblant de maîtriser le vivant- et cite THOREAU pour justifier sa démarche, référence plutôt rare dans les ouvrages sur la culture des patates sous couvert.
Mon avis ? Une lecture hautement recommandable pour qui cherche méthodes, solutions et inspirations en matière d’urbaculture.
Punk à chiendent
Les communautés hippies macrobiotiques agricoles des 70s sont de retour ? Il fallait bien que l’imagerie urbaine, les rasoirs, les néons blafards, les canettes éclatées et les chardons repointent aussi le bout de leur nez.
Ce court traité définit un modèle, celui du « Jardin Punk », une construction paysagère destinée à permettre une « émancipation » des méthodes traditionnelles de jardinage pour les urbains en quête d’écologie, une invitation à vivre localement avec la « nature » comme un adolescent à crète et veste en jean déchirée, à pousser avec panache dans des conditions hostiles.
Le modèle veut s’appuyer sur quelques principes inspirés de la mode dite punk, comme le minimum d’efforts, l’autonomie, la remise en cause de l’autorité, la valorisation d’une certaine sauvagerie et en général un certain réalisme.
Où se pratiquerait ce jardin punk ? À l’évidence de préférence dans les lieux « délaissés », abandonnés. Mais aussi dans la rue, chez soi, à la campagne.
Comment ? Il faut faire pas cher, rapide et facile, limiter l’entretien mais néanmoins viser l’impact, tout en respectant l’environnement et ses semblables.
Difficile de contredire ce schéma, aussi novateur que dans l’air du temps pour des urbains pressés cherchant l’efficience, le vivre-ensemble et le budget de crise.
Basse, guitare, bouture
Le plan d’action ? Un mix de méthodes paysagères : classiques (l’observation), modernes (intégrer l’évolution), et « hackers » (transgression, détournement) bien que ce soit nous qui introduisions ici le hack comme concept.
Des trucs pratiques, en abondance. Le coeur de l’ouvrage, ce sont ces conseils applicables. Comment obtenir des plantes. S’informer. S’adapter. Choisir ses outils. Entretenir. Faire vivre le lieu. Emmerder le monde (what else).
On trouve aussi des solutions aux problèmes inévitables qu’il s’agisse des réactions de mécontentement des voisins, de l’envahissement par les ronces, ou des inévitables pollutions de l’air, des sols, des déchets .
Une annexe formidable : plus de 150 plantes classées en tableau, selon une grille d’analyse originale. D’abord des facteurs caractéristiques classiques : la hauteur, l’exposition, l’ensoleillement, la résistances, etc. Puis d’autres facteurs spécifiques comme les intérêt esthétiques, alimentaires, sociaux-économiques ou tout simplement le niveau de punkitude de la plante, son élégance dans l’adversité.
Dans la bibliographie, des classiques de la permaculture (Perma-Culture 1 de MOLLISON et HOLMGREN, le guide de HOLZER), quelques documents sur l’assainissement des sols, et d’autres dont :
- John DIEKELMANN, Robert M. CHUSTER, Natural Landscaping – Designing with Native Plant Communities, University of Wisconsin Press, 2002.
- Nicolas SOULIER, Reconquérir les rues, Ulmer, 2012.
Anarchy in the Garden?
Finalement, on peut se demander si cette « agriculture punk » n’est pas néanmoins un concept marketing séduisant qui reprend l’existant et le package différemment.
Au delà des graines de friche et des trottoirs d’Amsterdam, on aurait aimé voir au moins une application concrète de la méthode par l’auteur, avec un terrain donné, ses interactions, ses réussites, ses doutes, ses échecs.
Maintes fois, il incite à la désobéissance. Mais s’adoucit, se dédouane, invite à la tempérance, à la négociation avec les autorités, rappelle à la loi, à l’écoute des usagers. Un jardin quand même plus punk que son jardinier.
Le Guerilla Gardening, les seed bombs de Liz CHRISTIE, bon exemple de méthode sauvage, cheap, gratuite, sont citées en passant. Dommage, on aurait aimé plus de références pour faire ses bombes à graines. Mais là, on ne jardine pas, on ne prend pas possession d’un lieu, on fait un paysage anonymement. Le besoin de produire une oeuvre personnelle paysagère nuit par moment à la punkitude annoncée.